Equinoxe, 5h du matin. Berlot ouvre son bar sur la galerie vingt-sept du troisième étage du niveau -1 de la station fluctuante. Une petite musique de pas pressés et de paroles murmurées accompagnent ces gestes. Aujourd’hui, il servira cinq cent trente-trois verres à une clientèle composée presque exclusivement d’ouvriers portuaires.
Berlot aime : le tintement des verres que l’on range sur les étagères cinq par cinq, l’arôme de la peau de sa prostituée préférée alors qu’il s’assoupit sur elle, le brouhaha de la clientèle en milieu de journée et servir des verres tout en racontant une histoire invraisemblable qu’un patron lui aurait passée le jour d’avant.
Berlot n’aime pas : les clients tapageurs. Il n’aime pas non plus qu’on vienne dans son bar siroter un verre en silence. Il dit que ça casse l’ambiance. Et quand l’ambiance est cassée, les clients ne viennent pas.
Alors, pour s’assurer que les clients viennent, Berlot a engagé une danseuse qui occupe la poutre au centre de son bar du nom de Saville.
Saville aime : choisir ses clients. Elle sait qu’elle en fait rêver plus d’un, alors elle se fait un vilain plaisir a émoustiller ceux qu’elle ne choisira jamais. Elle aime également voir les clients recalés s’énerver et voir intervenir Berlot.
Saville n’aime pas : Un patron la refuser. Ca la mets dans un désarroi temporaire, parce que très peu sûre des ses qualités de femme quand on ne lui bave pas dessus, il faut qu’on lui dise constamment qu’elle est désirable.
Evidemment, donné les circonstances de vie difficiles engendrées par la conjoncture, elle vend aussi son corps. Ce n’est en rien répréhensible en ces temps : la prostitution est un métier respecté de nos jours. Alors, tous les jours, elle danse pendant six heures, entretient des réguliers, et fait rêver plusieurs des clients, dont l’un d’entre eux s’appelle Hervé.
Hervé est un ouvrier portuaire dans le 56e hangar ouest du niveau -3, ou il opère la grue de chargement, consistant à charger ou décharger des marchandises, torpilles et autres objets plus ou moins amusants suivants son humeur.
Hervé aime : le bruit de torpilles qui se verrouillent dans leur lanceur après qu’il les aient chargés avec le plus grand soin. Il aime aussi les cuisses de Saville, qu’il trouve d’une grâce qui n’est pas de ce monde. Un jour, quand il aura économisé assez, il lui demandera de partir avec lui, et elle dira oui. Ils iront vivre en République du Corail et fonderont un centre d’éducation.
Hervé n’aime pas : ne pas avoir assez d’argent pour se payer les services de Saville. Elle l’obsède, et il n’aura de sommeil que le jour ou il se sera fait remarquer dans sa vie. Il parle continuellement ce son projet à Stan, avec qui il partage un lit superposé communal et qui travaille comme videur dans un bar un peu plus loin sur la même coursive. Ils communiquent par petits messages qu’ils se laissent dans la doublure du matelas se disant des choses sans importances, mais qui rappellent que la vie n’est pas forcément grise tout le temps.
Stan aime : les clients tapageurs. Cela lui permet de se passer les nerfs quand il a passé trop de temps à surveiller une clientèle trop calme. Il aime aussi se presser contre le radiateur de l’entrée du bar dans lequel il travaille pendant quelques secondes, juste le temps que ça lui fasse un peu mal, et ensuite s’exposer le dos au courants d’air qui arrivent le long de la coursive qui lui font des frissons dans tout le corps.
Stan n’aime pas : Son patron. Hervé lui parle à tout bout de champ du bar qu’il fréquente et de sa danseuse au jambes de déesse, et le patron de Stan refuse d’embaucher du nouveau personnel. Stan est morfondu, et ne demande qu’a voir le bar que fréquente Hervé.
Imaginez donc le moment ou, ayant viré d’un travail pourri, Stan va voir le bar d’Hervé, le cœur plein d’espoir et de désir, et se retrouve confronté a Saville à qui il plaît immédiatement. Hervé les présente et Stan manifeste son manque d’enthousiasme pour les jambes – acceptables, sans plus – de Saville qui a son tour nous fait une dépression comme elle en à le secret. Vexé alors que Stan vient de piétiner son rêve le plus cher, Hervé s’attire les foudres de Berlot, qui décidément n’aime pas les patrons bruyants et apprécie moyennement que sa seule danseuse qui n’a commencé qu’il n’y a de ça que deux heures va s’enfermer dans sa cabine pour n’en ressortir quatre heures plus tard, inconsolable.
Avec ce genre de dénouement, il est possible qu’aucun des personnage mentionnés ne passe une très bonne journée.
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