« Taboire… » soupira l’un des gardes. « Ils t’ont affecté à Infra dès que t’ai rejoint le FASLR ? » Cristof hocha la tête.
« C’est crissement pas juste, ça. Je voulais rejoindre Gisa, mais j’ai scrappé le test psy. J’veux dire… » dit le garde, serrant les dents. « Pourquoi faut passer un test psy ? » Tapa-t-il du pied. « Qui c’est qu’a besoin d’un osti de test psy pour buter du monde ? »
« Peut-être que c’est ton tempérament… » suggéra Cruso, ses yeux hors de la fenêtre a regarder passer les camions dans la voie rapide. « Tu doit être un modèle de contrôle de toi quand tu rejoins une force d’élite. Gisa, c’est pas que des meurtriers psychopathes, » dit-il, tournant son regard sur le garde assis sur la banquette devant lui. « Ils sont calmes, patients, déterminés et les meilleurs a ce qu’ils font. »
« Qu’est-ce t’en sait ? » cracha le garde. « T’est qu’un moins que rien. »
« Un moins que rien qui fait partie d’Infra depuis plus longtemps que t’est dans les forces armées, fiston. » grogna Cruso.
« Toi ? Dans Infra ? » rigola le garde, l’irritation évidente sur son visage. « Alors t’est du genre calme ? »
« Je te bouffe un foreur au petit dej’. » Le garde avait besoin d’assurance. Il se tourna vers Cristof, qui se contenta de hocher de la tête.
« Ben puisque t’est autant en contrôle de tes nerfs… » Dit le garde en attrapant son fusil, dont la crosse sauta immédiatement à la mâchoire de Cruso. Cristof entendit des dents se briser. « Bouffe-moi ça, bagnard. »
Dès que le garde s’était remis à faire des rondes dans l’allée du bus, Cristof se tourna vers son ami.
« Rien de cassé ? »
« Si. Le rat m’a brisé net une dent. »
« Laisse-moi voir. » Les mains menottées de Cristof attrapèrent la mâchoire de Cruso alors qu’il tourna la tête. En effet, sa langue étant dans le fond de sa bouche, son sang s’accumulait autour d’une molaire qui flottait derrière ses incisives.
« Ca fait mal ? »
« Nan. C’est encore indolore. » répondit-il. « Sûrement la prochaine fois que je mangerai. »
« Qu’est-ce que t’avais à aller l’énerver comme ça ? »
« Ce petit con se demandait pourquoi il n’avait pas été admis dans une unité d’élite. »
« Le ‘tact’, ça te dit quelque chose ? »
« Pas aujourd'hui. »
Les deux restèrent silencieux, alors que Cruso se pencha pour cracher sa dent dans le dos des gardes. Les yeux de Cristof se tournèrent vers l’extérieur, regardant passer les divers véhicules.
C’était donc parti. Le début du voyage vers Vitriomilny. Il n’avait jamais prit les tunnels inter-cité, quelque peu fasciné par ces derniers. Un tunnel gigantesque, des dizaines de mètres de large comme de haut, simplement une grosse chaussée où ceux qui ne pouvaient se payer les transports à haute vitesse conduisent ou se font conduire à destination. Dans les 24 heures, lui et Cruso seront à bord d’un bâtiment de transport avec quarante-deux autres prisonniers militaires à destination de la colonie pénale de Vitriomilny, une base creusée dans la dorsale du pacifique où tous les fauteurs de troubles de l’armée sont envoyés pour se repentir de leurs péchés. Il y avait un côté assez menaçant à l’affaire : la réputation de la station d'être un briseur d’hommes pesait sur son esprit au point de lui donner la migraine. Une « colonie de travail » qu’ils appellent ça, spécialisée dans la collecte et la distribution d’énergie géothermale. Bien sûr, tout ce que faisaient les prisonniers, c’était creuser, et sans compter l’idée de travail forcé, c’était surtout le fait de se trouver sous terre sans arme qui faisait peur à Cristof. Il n’avait pas entendu dire qu’il y avait des Foreurs dans la région, mais ceci n’empêchait pas cela. L’effet psychologique du doute peut briser un homme, pensa-t-il. Il comprit soudainement pourquoi le FASLR avait les troupes les plus disciplinées de toutes la Ligue. « Plus obéissants que la Navale » était un dicton qu’aimait utiliser le QG, et Cristof commençait à comprendre pourquoi. Quelqu’un qui passe sa vie fourré dans les boyaux les plus sombres des cavernes de l’océan à se demander quand le mur le plus proche de lui va exploser en vomissant une légion de créatures hautes de trois mètres à la musculature lourde prètes à vous tirer les membres du corps, ne va pas aimer se faire envoyer à Vitriomilny. Les six prochains mois font être très difficiles, pensa Cristof.
Des pensées lui coururent dans la tête au sujet des gens qu’il y rencontrerait. Meurtriers ? Foule indisciplinée ? Psychopathes à la détente facile et a la mèche courte avec un penchant pour la violence ? Plus il y pensa, plus l’endroit lui semblait être le premier cercle de l’enfer : la lumière incandescente de la roche en fusion illuminant des créatures difficilement reconnaissables en tant qu’hommes, suintants de sueur et de sang, barbouillés de boue et d’huile – munis d’équipement de forage et n’attendant qu’un seul instant de distraction de la part des gardes pour se lâcher complètement et se lancer à corps perdu dans le meurtre, le rire au lèvres et la psychose au poing. Ensuite vinrent les vrais démons, les Foreurs, dont les cris creusèrent des cavernes entières, dont les armes, pourtant si primitives, vous arrachent la peau et vous brisent les os en en seul geste brutal.
Il seraient à Leis dans l’heure. Ensuite, ils transféreraient par la base, monteraient dans un autre bus pour une voyage d’à peu près douze heures vers Onéral. Après cela, ils seraient mis dans une cellule ayant plus des airs de tube dans un sous-marin vers Vitriomilny. Cristof regarda Cruso et soupira, regardant son coéquipier se nicher la tête dans le montant de la fenêtre. Il semblait serein, comme toujours. Il avait l’air de n’avoir aucun souci au monde – et dans cet expression, Cristof trouva un réconfort. Il était heureux que Cruso était avec lui.