« La prochaine fois, colle-lui une droite. »
Ces mots cléments sonnaient encore dans les oreilles de Cristof alors que le banc en métal froid de la salle d’attente lui glaçait les fesses. Dans la pièce d’à-côté attendait un trium-viera des gradés du CMLR devant lequel que très peu passent indemne. En effet, la Commission Disciplinaire du CMLR avait la réputation d’être un corps plus dissuasif qu’impartial, et Cristof avait eu ouï-dire des punitions servies. Sévères, très sévères.
Les mots qui lui avaient valu sa place sur ce banc étaient les sages conseils de Cruso au sujet de leur officier commandant. Sa conscience lui infligea un douloureux coup de pied alors qu’il tentait de placer la faute uniquement chez son équipier. Il y eut une accumulation de circonstances menant à cet incident, mais tout en sachant que son meilleur ami l’avait encouragé à se défouler sur un officier, il avait toute l’excuse dont il avait besoin. En Ligue Rouge, les forces armées sont un des employeurs les plus prestigieux qu’ils soient – même les bureaucrates avec un grade plus honorifique qu’autre chose furent considérés par la populace avec révérence. Se faire jeter comme un malpropre était mauvais pour le karma, et c’était que qui inquiétait Cristof le plus, jusqu'à ce qu’une tape dans le dos amicale de Cruso lui rappela que l’opinion des gens n’allaient pas changer. Du moins celle de ceux qui comptaient.
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Cristof jeta son arme encore trempée sur son lit, regardant la boue et les algues qui en furent éjectées par l’impact avec le matelas. Il venait de se défaire de son armure, et était encore ruisselant de sueur, son débardeur taché de traces plus foncées encore. Il n’avait jamais couru plus vite, jamais. S’affalant sur son lit se pencha en avant, se serra ses cheveux gras pour que sa tête ne tombe pas trop bas.
Quelle machine il était devenu, pour avoir abattu Weirsbowski de la sorte. Jamais il n’avait eu à euthanasier quelqu’un, et surtout pas comme ça. Des larmes lui vinrent alors qu’il pensa a ce qu’il devait dire a Ivanka dès qu’il en eut la chance. Le plus tôt serait le mieux, pensa-t-il malgré son désir qu’elle ne sache jamais. Serrant sa mâchoire et la couvrant d’une main, Cristof laissa une larme couler, sentant un grave besoin de se défouler.
Personne autour de lui ne se souciait assez de lui pour remarquer son deuil : pas que Weirsbowski eut été un particulièrement bon ami, mais il faisait partie d’une famille dans laquelle Cristof s’était trouvé une place depuis qu’il eut rejoint Infra. Il était un peu surpris au point ou la mort de Weirsbowski l’eut touché, et conclut qu’il en était affecté de la sorte à cause du rôle qu’il avait à jouer dedans. Pendant que les autres se douchèrent, il s’assit et pleura. Alors qu’ils revinrent, leur humeur s’était améliorée quelque peu et ils bavardaient, seulement pour se voir coupés par l’ouverture soudaine de la porte du baraquement.
Le lieutenant Kierbolov entra dans la salle, sa carrure plus imposante que jamais, tout en muscle et criblé de cicatrices, une prothèse cybernétique imposante à la place du bras gauche. Tout le monde était muet, les serviettes arrêtèrent de frotter alors que lui et son assistant se rendirent vers le casier de Weirsbowski et en enleva la plaque, la lançant dans une caisse que tenait le commis. Il coupa ensuite le cadenas, lui prit la caisse des mains et la posa sur son lit, et se chargea de vider le contenu du casier dans ce dernier.
Tous regardèrent en silence, regardant la boîte se remplir de photos, de munitions, d’objets personnels, d’habits de rechange… Alors qu’il eut fini de vider le casier, il le referma et se tourna vers le reste de l’unité.
« Y’aura une collecte pour la veuve. Dons à Morin. » Repensant à Ivanka, les yeux de Cristof se remirent a larmoyer. Il se pinça les yeux pour cacher l’eau, mais Kierbolov semblait avoir remarqué. « Volsgarint, vous informerez mademoiselle Lavan ? » Cristof leva la tête en s’essuyant les larmes vite fait.
« Oui m’sieur. »
Alors que le gradé quitta la salle, Cruso traversa la pièce et mit une grosse main sur l’épaule de son ami.
« Il s’est passé quoi, là-dehors ? »
« Il perdait son sang. » Dit Cristof, tentant de retenir les larmes.
« …et… »
« Je l’ai abattu. » Expira le médecin, les larmes s’accumulant. Immédiatement, il souhaita n’avoir jamais dit ça.
« Il allait pas s’en sortir, hein ? » Cristof secoua la tête, tentant d’essuyer la marée montante de larmes de ses yeux. Cruso murmura quelque chose à propos de pauvre bâtards, et pris Cristof dans ses bras – immédiatement ce dernier s’effondra en larmes. Il sentit Cruso lui mettre des tapes dans le dos. Le reste de l’équipe resta silencieuse alors qu’il se défoula en silence. De tous les tueurs endurcis dans l’escouade, c’était le toubib qui eut à abattre Weirsbowski.
C’était beaucoup plus tard alors qu’un Cristof rasé et lavé emprunta le couloir d’entrée des baraquements fut arrêté par le major. Alors que le major aboya son nom et son grade, il sut que le major n’était pas d’humeur rigolarde.
« ‘Chuis vachement pas impressionné par ce que t’as fait là-dehors, Volsgarint. » Aboya le bulldog mutilé, toutes dents dehors, même celles qu’il n’avait plus. Cristof retint sa grimace et se prépara à prendre sa volée comme un bon petit comme on lui avait appris à le faire. « T’as laissé crever un de mes hommes là-dehors, t’as même pas essayé de le soigner, t’as juste regardé la plaie et tu t’est dit ‘ah ben merde, ça me fait du boulot en plus, j’ai qu’a ramasser les morceaux, et lui dire qu’il est foutu !’ » Aboya le major. « Quand je dis ‘déboulonne-le’, je veux pas dire ‘bute-le’ – tu piges ? »
« Oui camarade Major. » dit Cristof en prenant sa fessée. Fâché comme pas deux, le major partit en trombe. Cruso, qui eut regardé la scène depuis l’entrée du mess ou il bavardait avait d’autres de ses potes du régiment, rejoint Cristof, les mains dans les poches.
« Tu sais c’est quoi, son problème ? » Les yeux de Cristof se braquèrent sur Cruso, alors que lui regardait partir le major. « Paperasse. Il doit en avoir une tonne sur son bureau, maintenant. »
« T’as entendu ce qu’il m’a dit ? »
« Jusqu’au dernier postillon. »
« Y’a pas de justice. »
« T’as raison. » dit-il. « …tu sais quoi : la prochaine fois qu’il te tape sur le système, colle-lui une droite. » Cristof regarda son ami avec un mélange d’approbation et de choc – Cruso était une brute, mais il ne s’attendait pas à ce qu’il approuve de ce genre de comportement.
« Vraiment ? »
« Ouais, assomme-le. Il le mérite, c’t’enfoiré. » Cruso vit la boîte entre les mains de Cristof. « Bonne chance avec Ivanka, mon gars. »
En tout, Cristof était parti sept heures. Une partie en fut passé avec Ivanka, qui semblait au bord de l’hystérie. Une autre partie fut une promenade seul entre les niveaux de la station et les bars, et une dernière partie avec une prostituée. Ivanka voulait seulement garder les photos de son fiancé, et dit a Cristof de garder le reste. Il y eut un je-ne-sais-quoi dans la manière qu’elle lui dit de « garder ses affaires » qui avait l’air d’une accusation, malgré qu’il ne lui eut pas dit comment Weirsbowski avait vraiment péri. La culpabilité lui pesant lourd sur les épaules comme un monde de soucis, Cristof rentra sans se presser au bercail. En passant, il revit Cruso, qui sortait en sueur de la salle de conditionnement physique.
« Comment ça s’est passé ? » demanda-t-il, essuyant les gouttes d’un crâne chauve.
« Mal. » Cruso lui aurait demandé s’il voulait en parler, mais le Major coupa court à cette trame de pensée alors qu’il débarqua de la salle de repos.
« Ah, te voila, Volsgarint ! » rayonna-t-il. « Tu vas être content de savoir que je t’ai pris un rendez-vous avec le C.D. pour discuter de tes petites aventures, et ils sont assez enthousiasmés à l’idée de te rencontrer. Si j’étais toi, j’irai vider mon casier de ce pas. » Cristof soupira le soupir d’un homme désespéré à qui l’on retirait son dernier havre de tranquillité.
« Aussi, puisque tu vas nous quitter, j’aimerai saisir l’occasion pour te faire part d’une chose que j’ai sur le cœur… »Dit-il, le sourire au lèvres en savourant le moment, s’apprêtant à dire quelque chose qu’il n’aurait même pas dû penser :
« Je pense personnellement qu’en qualité de toubib, t’est à chier. »
Le coup de poing partit plus vite qu’on puisse s’y attendre, et le major fit un pas en arrière, plus dans un élan de surprise que de douleur – sa mâchoire étant épaisse et le crochet de Cristof laissant a désirer.
« Tu vas au goulag pour ça. »
« Vous allez l’envoyer au goulag pour une tape de rien du tout ? » s’exclama Cruso dans une incrédulité effarée.
« Compte dessus, mon gars : et si t’aimes pas, t’as qu’a le suivre. »
Cruso frappa plus loin et plus fort que son camarade, expédiant le major un mètre plus loin dans le couloir. Il tenta de se lever, mais l’effort était au-delà des forces de l’officier qui alors s’écroula dans une inconscience noire. Cristof sourit alors qu’il vit se former une fracture dans le nez du commandant.
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La porte de la salle d’attente s’ouvrit avec une facilité bien huilée alors qu’un membre propre sur lui de la garde rouge mit un pied dans la salle et en fit le tour des yeux, comme si il y aurait un fantôme qui aurait un rendez-vous avec le comité avant le soldat assis.
« Soldat Volsgarint ? » Il demanda sans attendre de réponse. Cristof hocha de la tête. « Le C.D. est prêt à vous recevoir, maintenant. » Cristof soupira et écrasa sa cigarette dans le cendrier devant lui, suivant le garde jusqu’au trium-viera, ajustant son uniforme. Comme ils disent à Equinoxe…
Que sera sera.
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